Le Monde de l’Ostéopathie a posé quelques questions à Alain Cassourra, médecin et ostéopathe, au travers, notamment, des deux livres qu’il a écrits.

Le Monde de l’Ostéopathie : 

Alain Cassourra, votre premier livre raconte votre chemin initial dans le domaine de la thérapeutique. Médecine d’abord – tout en apprenant la danse – suivie d’ostéopathie. Disons le de suite : ça se lit très bien ! Pour des praticiens, c’est intéressant du point de vue de l’histoire de l’ostéopathie, puisque vous la déroulez sous nos yeux. C’est peut être le premier livre d’histoire contemporaine de  notre profession en France.

Notre première question : comment ce livre a-t-il été reçu, un par le public professionnel, et deux, par le public général, ceux qui ne connaissent rien à notre histoire mais veulent tout simplement savoir comment nous les traitons ? Quel a été votre retour du public des patients ?

Alain Cassourra : Que dire ? Tout d’abord que ceux qui m’ont fait un retour ont tous été séduits, sans que cela augure de la façon dont ce livre a été perçu, on peut tout de même  imaginer que certains n’ont pas aimé… Côté ostéopathe, de nombreux confrères m’ont remercié pour ce témoignage, qui je crois les a réconfortés dans leur démarche solitaire, car nous sommes au bout du compte très seuls dans nos cabinets, réconfortés dans les interrogations, les doutes, les difficultés rencontrés dans l’apprentissage et la pratique quotidienne de l’ostéopathie, réconfortés aussi face au phénomène si fréquent qui nous amène à rencontrer concrètement dans les soins, énergie, émotion ou pensée, sans pour autant y être prêt ou savoir quoi en faire. Souvent chacun bricole dans son coin comme il peut. Entendre parler un bricoleur rassure et encourage. Côté patient, j’ai été touché, mais aussi surpris, par les identifications, les projections, les interprétations qu’ils ont faites. Ils m’ont offert un autre regard sur ce que j’ai écrit, et de ce fait m’ont poussé vers des horizons plus lointains. C’est entre autre le sujet de mon second livre «La fureur de guérir».

LMO : Il se dégage beaucoup de passion et de curiosité vis-à-vis de l’ostéopathie dans votre livre. Pourtant, le sous-titre est ‘Au-delà de l’ostéopathie’. Comme si vous décriviez toutes les étapes de votre apprentissage et de votre pratique, du structurel à l’émotionnel, pour conclure qu’il faut les dépasser ou qu’elles sont dépassées. Quel est cet ‘au-delà’ ?

A.C. : Nous sommes au minimum structure, énergie, émotion et pensée, et ce, tout à la fois… Mais ce sous-titre est parfaitement contestable, il est là plus à des fins commerciales qu’autre chose. Il se justifie cependant : d’une part, pour le grand public et peut-être aussi pour bon nombre d’ostéopathes, l’ostéopathie reste toujours cantonnée à la dimension physique et structurelle, d’autre part, j’essaie d’y aborder,  modestement, la quête du sens, la confrontation au mystère, la dimension initiatique, en quelque sorte, de l’ostéopathie. Mais de fait dans les principes fondateurs de l’ostéopathie, je crois que tout est dit, le corps, le mouvement et l’esprit, y compris la dimension spirituelle.

Dans «La fureur de guérir» les cadres sont transgressés, celui de l’ostéopathie, mais aussi de la médecine, ou de la psychanalyse. Le ‘au-delà de’ se justifierait pleinement.

LMO : On comprend que vous vous êtes spécialisé dans les approches où l’on ne manipule plus selon les lois de la biomécanique, mais où l’on se met à l’écoute des tissus, approches issues surtout de Rollin Becker. Que vous reste-t-il, au quotidien, de votre éducation en ostéopathie structurelle ?

A.C. : Tous les jours, plusieurs fois par jour, je manipule, je truste. Je le fais avec plaisir quand cela me semble nécessaire. Peut-être ai-je tort. Je n’ai pas une pratique exclusive d’un courant. En cela je suis un bricoleur… J’aime cette phrase de Tenzin Choedrak : «Il y a plusieurs bonnes médecines, la bonne médecine est celle qui soigne le patient.» C’est vrai pour les courants ostéopathiques, chacun a des vertus et des limites. Et chaque ostéopathe a ses limites, j’ai les miennes : je suis curieux et touche à tout.

LMO : Et de votre formation médicale ? Après tout, vu de l’extérieur, vous agissez comme un “imposeur de mains” !!

A.C. : Je suis heureux d’être médecin. Je suis médecin, sans pour autant m’identifier à la fonction ! Et tous les jours, avec chaque patient, je commence par écouter et examiner en médecin, puis je deviens ostéopathe. L’un traque la maladie, l’autre stimule la capacité d’auto-guérison. Deux approches différentes. Je manque de temps mais si je le pouvais, je réapprendrais la médecine, particulièrement la sémiologie. La réapprendre aujourd’hui avec l’expérience de la pratique me serait très profitable, je pense particulièrement à la neurologie et aux neurosciences.

LMO : Vous décrivez votre apprentissage auprès de divers ‘maîtres’, comme on disait dans le temps. Cela commence avec du structurel puis évolue avec des enseignements de plus en plus sophistiqués où se mélangent chamanisme et ostéopathie. Croyez-vous que c’est là un chemin déjà balisé, obligatoire, une sorte de pyramide à gravir pour tout étudiant en ostéopathie ?

A.C. : J’aime cette évolution qui me rappelle celle de la pratique des arts martiaux, au début dans le physique, puis progressivement vers d’autres dimensions. Mais elle ne peut être une règle absolue. Non, chacun doit cheminer en fonction de ce qu’il est, rester intègre et exigeant avec lui-même, avec humour et tendresse.

LMO : Un aspect manque peut-être dans votre livre, c’est la clinique. On aurait aimé connaître votre vécu de la pathologie humaine lorsque vous traitiez avec du structurel ou avec du crânio-sacré ou de l’écoute. Même si on a honte d’en parler, la nécessité de ‘résultat’ reste tout de même une priorité, en tous les cas pour les patients. Peut-on donc brièvement parler de vos ‘résultats’ avec ces différentes approches ?

A.C. : Je n’ai aucune honte à en parler, mais je ne le peux. Bon nombre de patients viennent une, deux ou trois séances, et repartent dans la nature. Parfois nous les revoyons dix ans plus tard et ils nous annoncent que notre intervention a été ‘miraculeuse’, là où nous ne l’aurions même pas imaginé. Mais le plus souvent nous n’avons pas de retour, des succès comme des échecs. Aujourd’hui je suis des patients au long cours pour des pathologies imbriquées, physiques et psycho-émotionnelles. Là je mesure plus les résultats obtenus et souvent je suis bluffé par le potentiel libérateur des techniques alliant la matière, l’énergie et le symbole.

Mais pour dire vrai, plus le temps passe, plus je suis confronté aux échecs, et moins je sais.

LMO : Ceci nous amène à une question de fond sur l’ostéopathie. Cette discipline possède des principes magnifiques sur la santé en général. On y parle de la ‘puissance inhérente et infaillible’ des tissus, prête à guérir, pourvu qu’on l’écoute et la laisse s’exprimer sous nos doigts. Or, à ce jour, et à notre connaissance, aucune pathologie ‘sérieuse’, qui engage le pronostic vital, n’est traitée par l’ostéopathie. Les discours et pratiques des ostéopathes peuvent varier, mais leur domaine d’intervention reste toujours le même : troubles de l’appareil locomoteur, stress, bien-être etc. Que pensez-vous, en tant que médecin et ostéopathe, de cette barrière entre ce que nous disons faire et ce que nous accomplissons ?

A.C. : Qu’est-ce qu’une pathologie sérieuse ? Maçyl Massen après avoir lu «La fureur de guérir» qui raconte son histoire, ou plutôt notre histoire à tous les deux, me disait : « si je ne vous avais pas rencontré, je ne serais plus là aujourd’hui ». Sa pathologie était-elle sérieuse ? Je crois. Je n’aime pas cette idée de l’ostéopathie, médecine préventive et du bien-être, une espèce de soupe affadie, trop souvent enseignée aujourd’hui. Pour moi l’ostéopathie soigne. Mais je comprends ce que vous dites : quid des cancers ou des maladies dégénératives en ostéopathie ? À ma connaissance pas de succès. Mais sur un plan scientifique strict, l’ostéopathie a-t-elle fait ses preuves ne serait-ce que sur les lombalgies aiguës, alors que nous en soulageons tous les jours ? Je le redis : j’ai beaucoup d’échecs, et des succès aussi. Je ne suis pas le seul à avoir des succès ! Et les autres ont peut-être moins d’échecs. La frontière entre médecine et ostéopathie, les problèmes médico-légaux, font que, par crainte, nous bottons souvent en touche. Mais si une collaboration étroite existait, je crois que nous découvririons des champs d’applications plus vastes et que nous serions surpris. Le premier cas décris par Still n’était-il pas une dysenterie ?

LMO : On connaît les dangers supposés ou réels de l’ostéopathie dite structurelle (manipulations cervicales etc.). Un sujet peu – voire jamais – abordé parmi les ostéopathes des techniques d’écoute : peuvent-elles être dangereuses aussi ?  Pour l’opérateur et pour le patient ? Par exemple, on entend certains ostéopathes parler d’épuisement après des séances d’écoute tissulaire, alors que le patient, lui, se sent mieux. Qu’en pensez-vous et avez-vous vécu ce ‘burnout’ ?  Inversement, peut-on faire du ‘mal’ à certains de nos patients avec ces techniques douces ?

A.C. : Les techniques douces, ça ne veut rien dire ! Une technique potentiellement efficace est potentiellement susceptible d’effet inverse. Ça rassure le thérapeute et le patient, mais cela me semble bien illusoire. Plus l’ostéopathe se dégage de la structure – qu’elle soit musculo-squelettique, viscérale ou crânio-sacrée – pour aborder des éléments plus subtils, plus la connaissance de soi s’avère une condition première. Celle-ci ne s’apprend pas, elle se travaille : nous devons partir à la rencontre de nous-mêmes, de nos mémoires émotionnelles, de nos représentations intrapsychiques, de notre histoire personnelle et familiale. Avant de prendre en charge certains patients, il est indispensable d’avoir soi-même « labouré sa terre intérieure ». C’est un long travail, jamais terminé, qui va au-delà d’un stage ou d’un cursus et qui s’intègre par la suite dans le parcours de nos vies. Se lancer dans des techniques qui sont proches de nos limites, nous expose à des retours de bâtons, de l’épuisement à plus … Dans « La fureur de guérir » la puissance du transfert et du contre-transfert fut telle, que je fus plus d’une fois emporté dans la tourmente, à mes risques et périls.

LMO : A. T. Still a surpris son entourage avec l’ostéopathie. Il fit scandale en son temps.   Pensez-vous que l’ostéopathie peut encore surprendre ? Y compris nous-mêmes, ses praticiens ? Ou bien a-t-elle déjà atteint sa maturité ?

A.C. : L’ostéopathie se vit, elle ne s’apprend pas dans les livres ou dans les écoles, elle se transmet de maître à élève, elle n’est pas une technique. Elle était déjà mature avec Still. Donc qui la vit, est surpris par elle. Vouloir la mettre au goût du jour ne signifie rien, pas plus que de vouloir la reproduire telle qu’elle était à sa création, non, chacun la rencontre à travers sa pratique dans sa diversité. Vouloir la faire rentrer dans des normes, c’est l’achever. Elle n’est pas une, mais multiple, et pourtant elle n’est qu’une.

Extrait de la revue Le Monde de l’Ostéopathie N°11 – Été 2014

Alain Cassourra remercie particulièrement Frédéric Zenouda de nous avoir autorisé à publier cet article.

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